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Les six visages

6 février 2007

Depuis que le monde est monde La magie de la

Depuis que le monde est monde

La magie de la naissance d'un être humain m'a toujours fascinée. De la conception à la première respiration. Cet univers, ce TOUT dans lequel nous avons tous baigné m'interroge autant qu'il me passionne et ce, depuis mon plus jeune âge, bien avant l'envie de participer, en tant que mère, à cette puissante alchimie de la Vie, de l'Amour...

Cette alchimie, j'y ai pris part à six reprises. Affectivement parlant, j'ai eu un début de vie plutôt difficile faite de doutes, de souffrances très intériorisés d'abord, puis exprimés dans la violence ensuite... Ce cheminement m'a forgée telle que je suis : empathique au point d'avoir « mal aux autres », passionnée, enflammée, généreuse..., pour peu que j'ose sortir de ma réserve toute protectrice. J'ai mis des années à trouver l'équilibre entre l'inhibition et l'expression brutale de mes émotions. C'est pendant ce long laps de temps que j'ai eu mes quatre premiers enfants. Le déroulement de leurs naissances n'est autre que le reflet de ma quête de cet équilibre : je suis passée du compliqué et douloureux à la simplicité la plus élémentaire qui soit. Comme la plupart des femmes, je suis née à travers mes enfants. Je leur ai donné la vie, mais eux aussi m'ont fait naître. Six fois... Je suis devenue la mère aux six visages, aux six révélations, aux six expériences et avec la récente venue de Loan, arrive le moment de lever le voile, de m'ouvrir enfin, de faire l'expérience du Partage. Cette sixième naissance est comme la cerise sur un gâteau à cinq étages, l'une ne serait rien sans l'autre. Je ne peux donc faire l'économie du récit des naissances précédant celle-ci, qui vient comme un aboutissement, un accomplissement.

À la maison, lorsque j'étais petite, il y avait ce livre La naissance d’un enfant (édité en 1975) à portée de nos mains, bien que destiné aux adultes. Je l'ai d'abord feuilleté des centaines de fois, puis lu et relu. On y parlait en termes très techniques de l'anatomie féminine, des cycles menstruels, de dilatation, d'expulsion..., le tout agrémenté de croquis, schémas et photos du développement du foetus in utéro, d'accouchements, de mamans allaitant leur bébé... Les roses et les choux étaient bien loin, aucun secret n'a jamais été fait autour de ce fabuleux moment de la vie, les choses étaient posées si simplement qu'elles en gagnaient encore davantage en mystère, en poésie, en naturel...C'est donc le plus simplement, le plus naturellement du monde que j'ai porté mes enfants. Pour leur naissance, c'était devenu déjà moins évident. Parce que je suis ce que je suis, parce que j'arpente mon chemin bien timidement et parce que l'information générale donnée aux femmes enceintes par le biais de la CAF les oriente davantage vers le gynécologue obstétricien que vers une sage-femme, je ne me suis pas donné la peine de voir plus loin si d'autres possibilités s'offraient à moi. Ma première grossesse a donc été suivie par un gynécologue classique qui, bien que fort sympathique, m'a gentiment manipulée pour que je sois convaincue que seule l'équipe médicale « savait »  accoucher et que par conséquent, il me fallait m'en remettre à d’autres pour m'indiquer comment faire pour donner la vie. Grave erreur de ma part...

Force est de reconnaître que face à ce qui fait figure d'autorité - ici, le corps médical -, je suis toujours, sans en avoir réellement conscience, dans la docilité et la soumission, le nez sur mes chaussures.

La grossesse se passe très bien. Je suis les cours de préparation à la naissance avec Nathalie, une sage-femme libérale rencontrée dans le cadre de ma formation d'infirmière de secteur psychiatrique. Sa façon d'évoquer la grossesse et la naissance m'a tout de suite plu : ça a l'air si naturel et tellement simple ! Je suis confiante et détendue lorsque j'arrive un matin de septembre à l'hôpital, dilatée à 6 cm et la poche des eaux fissurée. Je découvre le milieu obstétrical avec mes yeux et mon ressenti de « primipare » : mes compétences d’infirmière-psy sont très, très loin... Je me laisse faire : la sage-femme qui nous accueille me fait bien gentiment comprendre qu'elle sait et moi pas : c'est mon premier... J'accepte donc comme une normalité la perfusion de glucosé, le monitoring et d'être clouée sur le lit. Le recul, l'expérience, diverses lectures et autres documentaires, me feront prendre conscience, avec colère et amertume, que c'est l'absence de mobilité associée à la position dorsale qui ont induit le mauvais engagement de ma fille dans mon bassin : elle est positionnée en occipito-sacré et présente le diamètre le plus large de son crâne. Elle est bloquée.

Lorsque Nathalie - qui a alors accès au plateau technique - arrive, il est déjà trop tard. Je suis à dilatation complète mais le bébé ne progresse pas. Après deux heures d'efforts vains à me balancer d'une jambe sur l'autre en espérant l'engagement, il est décidé de faire appel au gynécologue de garde. Nous sommes dimanche, il est midi. Lorsqu’il arrive, il me salue à peine, ne me regarde guère plus (on a du le déranger en plein repas dominical...). Il commence à "officier" sans m'expliquer ce qu'il va faire ni pourquoi il faut le faire. Il tente, dans un premier temps, de faire bouger la tête du bébé avec sa main qu'il plonge en moi sans aucune délicatesse... La manoeuvre échoue, il décide de sortir l'artillerie lourde... Je me souviens avec une précision douloureuse du crissement des ciseaux entaillant ma chair, de la sensation de désespoir ressentie à cet instant, de la conscience d'être mutilée, de ne plus jamais être comme avant, d'être terriblement soumise, seule, même si Nathalie me tend sa main que je broie sans vergogne... On demande à mon homme d'alors de quitter momentanément la pièce, pour lui épargner ce spectacle. L'épisiotomie faite, le gynécologue introduit la ventouse sans aucun ménagement, la fixe sur la tête de mon bébé qui n'a toujours pas franchi le col et tire avec une telle force que je suis entraînée dans sa direction, la sage-femme et la puéricultrice doivent me retenir pour que je ne tombe pas de la table... Il me donne l’impression de s'échiner comme un bûcheron sur une souche récalcitrante. Il retire la ventouse, constate l'état stationnaire de l'engagement, replace la ventouse et tire à nouveau comme une brute, faisant contre poids avec sa main gauche sur mon coccyx (qui me fera souffrir de longs mois), pour donner plus de force à son mouvement de traction. Pendant ces longues minutes d'horreur, j'ai eu le sentiment de n'être qu'un morceau de viande duquel il fallait extraire un autre morceau de viande. Notre histoire, nos êtres, nos ressentis semblent ne plus exister face à cet homme sans compassion pour ce que l'on est en train de vivre. J'ai l'impression d'être violée, je suis, de toute façon, violentée. Qui suis-je et qu'ai-je fait pour mériter un pareil traitement ? Et mon bébé, comment va-t-il supporter ce tour de force, dans quel état va-t-il naître ? Tout n'est plus que douleur et angoisse, le temps semble figé et je donnerais n'importe quoi pour que cesse ce cauchemar. Puis tout s'efface quand Lucie arrive tout contre moi. Le gynécologue s'en va, sans nous saluer, sans nous regarder, sans comprendre pourquoi, au milieu de mes cris de douleur et d'indignation, je l'ai qualifié de salaud... Pendant qu'on me recoud, j'entends ma fille hurler de colère, de mécontentement, de désespoir : beaucoup de cheveux et beaucoup de vernix lui donneront droit à trois shampooings au lieu de ma tendresse, ma chaleur, mon amour. J'ai envie de pleurer. Mais je ne pleure pas, je suis au-delà des larmes, dans l'ambivalence de cette naissance volée. Certes, je suis heureuse d'avoir mon premier enfant, mais étais-je obligée de subir toute cette absence d'humanité, cette brutalité pour devenir mère ?

La naissance de Lucie est un bonheur mi-figue, mi-raisin... Les dix premiers mois de sa vie seront émaillés de problèmes ORL récurrents et réfractaires à tout traitement. Une séance d'ostéopathie révélera et règlera définitivement la question : l'extraction instrumentale musclée a entraîné une déformation crânienne telle que l'occiput comprimait les canaux d'Eustache, empêchant l'évacuation des sécrétions normales de l'oreille et entraînant l'infection. C'est aussi l'ostéopathe qui soulagera mon coccyx malmené et mettra un terme aux suites handicapantes de ma superbe épisiotomie.

Lucie et moi avons payé cher le prix de ma soumission au corps médical. J'ai eu d'autant plus de mal à me le pardonner qu'elle en a subi, elle aussi, les conséquences (une paracentèse à six mois, ce n'est pas anodin...).

Je suis passée par tous les états d'esprits possibles et imaginables : auto dépréciation, culpabilité, colère, ressentiment... sans pouvoir mettre un terme à mon malaise intérieur. Je débute l'année 1995 avec une nouvelle grossesse. Cet été-là, une chaîne de télévision diffuse un documentaire en trois volets intitulé "accoucher aujourd'hui", une révélation passionnante sur l'hypermédicalisation de la naissance et ses conséquences. De nombreuses femmes témoignent les larmes aux yeux, la rage au coeur; je m'y retrouve et il ne m'en faut pas plus pour entrer en rébellion... Quelques mois plus tard, j'arrive à la maternité vers 14 heures avec la poche des eaux fissurée depuis la veille et dilatée à 4 cm.

« La sage femme qui nous accueille n'a pas sa place ici » : tel est mon ressenti à mon premier regard posé sur elle. Son angoisse d'être en salle de travail est à couper au couteau, je ne sens que cela. J'essaie de m'y adapter en acceptant la perfusion de glucosé et le monito pour ne pas la stresser davantage et je me "blinde". Je ressens comme impératif de me rendre hermétique à son angoisse pathogène. Puis elle exige que je retire mon soutien gorge et que j'enfile une veste de pyjama. Pourquoi ? Je ne cache pas mon mécontentement, je me sens bien en soutien gorge, qu'est ce que c'est que ces exigences ! De quel droit ? Un peu plus tard, elle revient dans la salle de travail et semble contrariée de me voir debout à côté de la table d'accouchement. Elle me dit sur un ton péremptoire que ça ne va pas du tout, qu'il faut absolument que je m'allonge, que du fait de ma position verticale, mon bébé ne va pas bien du tout.. Je lui rétorque sur le même ton que je ne suis bien QUE debout. Elle m'assène alors la phrase assassine : « Moi je ne dis pas ça pour moi mais pour votre bébé..., regardez le monitoring : il ne va pas bien du tout... ».

Je fulmine : j'ai appris à lire le tracé d'un monitoring durant ma formation qui comprenait un module gynécologie, mon bébé va bien, le tracé est normal. Mais je n'ai pas envie de m'engager dans une lutte de pouvoir avec cette femme, ce n'est pas le moment. Alors je négocie : j'accepte de me plier à ses conditions et de m'allonger une demie-heure, pas plus. Ce temps devrait suffir pour évaluer une éventuelle différence sur le tracé du monitoring.

Mais la douleur est ingérable dans cette position, je m'énerve, je m'agite et le travail n'avance plus. À la seconde où le délai est passé, je saute de la table avec soulagement... À son retour auprès de moi, la sage-femme, dérangée de me voir à nouveau debout, reprend son discours culpabilisant. Je me fâche, et je lui réponds que c'est moi qui accouche et que je compte bien rester debout puisque JE me sens mieux ainsi !

Nathalie arrive sur les lieux à cet instant, elle sent de suite l'odeur de soufre, pousse gentiment sa collègue vers la sortie, lui disant que désormais elle prend la totale responsabilité de l'accouchement. Je resterai debout jusqu'à l'expulsion, une demi-heure après.

Je ne comprends pas pourquoi j'ai accepté de me coucher, d'autant que je me suis sentie moins forte, empotée, sitôt les pieds en l'air… Mais Pénélope est née comme une fleur malgré tout... Vu le contexte de départ, c'était loin d'être gagné !

La sage-femme a noté dans mon dossier « refus d'obtempérer » ! Mon intuition ne m'avait guère trompée : elle n'avait pas sa place en ces lieux ! En prime, elle se vengera à l'expulsion du placenta en appuyant de toutes ses forces, de tout son poids, sur mon ventre endolori, m'affirmant avec un plaisir à peine masqué qu'elle devait procéder ainsi... Elle se disputera avec Nathalie au sujet de cet accouchement à chaque fois qu'elle aura l'occasion de la rencontrer et ce, pendant deux ans... Mais elle ne saura jamais à quel point cette naissance a modifié le cours de mon existence, elle ne mesurera jamais l'étendue des bienfaits qu'elle a apporté dans ma vie de mère, de femme...

Il m'a fallu la naissance de Pénélope pour guérir de celle de Lucie. Est-ce normal d'avoir à « guérir » d'une naissance ? Je doute que cette sage-femme ait la réponse...

Infirmière depuis de nombreuses années et empathique à l'extrême depuis toujours, la déshumanisation des soins m'a toujours tenue très à coeur. C'est une terrible réalité contre laquelle je me suis toujours battue et je ne suis pas prête de baisser ma garde au nom de tous ces patients malmenés, ignorés, dépossédés de leur essence humaine. J'ai constaté avec dépit que cette déshumanisation est déjà bien présente en service de maternité. Que penser de l'attitude de ce gynécologue et de cette sage-femme à mon égard ? Peut-on considérer raisonnablement qu'ils savent tenir compte de l'état psychologique singulier dans lequel se trouve une femme sur le point d'accoucher ? Et l'équipe pluridisciplinaire qui a appelé ma fille aînée « la ventouse de dimanche » en ma présence, se souciait-elle de l'effet produit par ce genre de phrase sur l'estime de soi d'une toute jeune maman digérant à grand peine un accouchement vécu comme une humiliation ?

Forte de ces deux expériences-là, je raffermis mes positions quant à l'aspect respectueux des relations humaines quelles qu'elles soient.

1997, l'année de Nathan. Je me suis encore affirmée dans mes choix de naissance naturelle. J'en ai assez des visites mensuelles expéditives chez le gynécologue. Désormais, c'est à Nathalie que je confie le soin de m'accompagner durant cette grossesse. Les visites se transforment en moments d'échange d'une grande richesse. Je m'affirme toujours un peu plus et c'est ainsi que je parviens à m'opposer au déclenchement sous péridurale que l'on m'incite à faire sous prétexte d'un taux d'acide urique très légèrement au-dessus de la norme, alors que des examens plus poussés ne confirment même pas ce diagnostic d'hyperuricémie (présence anormale d'acide urique dans le sang).

La naissance de Nathan se passe très bien. Mes choix sont respectés : pas de perfusion, pas de monitoring en continu et un travail se passant dans la baignoire... même si, rétrospectivement, rien ne justifiait la rupture artificielle des membranes ni la mise en couveuse de Nathan pour une très légère hypothermie.

L'année précédant la venue de Joséphine me fera découvrir, par le biais d'un reportage à la télévision -intitulé « La naissance retrouvée »- que des femmes accouchent à la maison, assistées de sages-femmes. Je suis ébahie et conquise ! Je pensais très naïvement que les naissances à domiciles étaient toujours inopinées et qu'en France, il était impossible de donner naissance chez soi de manière réfléchie et volontaire, que c'était forcément l'hôpital pour tous !

Je suis tellement emballée que lorsque je me retrouve enceinte de Joséphine, je n'ai plus que cette idée en tête : accoucher à la maison avec l'aide de Nathalie. Seulement voilà : si elle n'est pas très enthousiasmée par cette perspective, le futur papa est carrément contre... Je fais donc une croix sur ce doux rêve et arriverai à l'hôpital fin mai 2000, munie d'un projet de naissance qui sera respecté dans sa totalité. Pas de perfusion, ni de monitoring en continu, pas d'immobilité imposée, possibilité d’aller dans la baignoire durant le travail. Pas non plus de rupture artificielle des membranes, pas d'épisiotomie, la possibilité d’assister aux soins et au bain du bébé. J’ai demandé aussi une sortie de la maternité dans les heures suivant la naissance avec suivi du post-partum par Nathalie, à notre domicile.

Je savoure avec délice le bonheur que procure la sensation de me rapprocher toujours un peu plus de l'essentiel, d'avoir su enfin écouter ma voix intérieure et d'avoir trouvé le courage de la suivre. J'ai cheminé, au fil de mes grossesses, par le biais de lectures, documentaires, discussions passionnées et passionnantes, de prise de conscience et de remises en question. J'ai cheminé vers l'essentiel, et aussi vers moi-même. Ainsi, au fur et à mesure de mes naissances, j’ai gagné de plus en plus de terrain sur le respect de la physiologie de l'accouchement, même si après coup, d'autres lectures venaient me fâcher en me faisant prendre conscience que j'avais encore accepté des gestes dont l'absolue nécessité était remise en question, notamment les tous premiers soins au nouveau né. L'aboutissement de ces mécontentements successifs vis-à-vis de la naissance en milieu hospitalier, ajoutés à mon évolution personnelle, m'a amenée à réenvisager un accouchement chez moi pour mon cinquième enfant. L'homme qui m'accompagne désormais me suit et approuve totalement ma démarche. Il pense, lui aussi, qu'il doit être agréable et doux de donner la vie dans l'intimité de son foyer.

L'absence de sage-femme pratiquant l'accouchement à domicile dans notre région nous a orientés vers la question de l'accouchement sans assistance. Durant cette cinquième grossesse, je me suis gavée - via Internet surtout- de lectures, de témoignages de naissances à domicile, d'études... J'ai ainsi acquis la conviction que la naissance à domicile pouvait apporter ce respect qui m'avait fait tant défaut en milieu hospitalier. Mon homme et moi nous sommes donc préparés à accoucher seuls. Nous avions bien pesé le pour, le contre, les bénéfices, les risques et, en regard de ce comparatif minutieux, notre décision fut prise sans hésitation, mais avec la porte laissée grande ouverte au départ pour l'hôpital au moindre doute.

Le jour de la naissance d'Eliott, à l'issue de douze heures de travail, le doute s'est effectivement installé et nous sommes partis pour la maternité. J'y suis arrivée à dilatation complète. Dix minutes après, Eliott était dans mes bras... Trois heures plus tard, nous étions tous de retour à la maison, heureux. Mais nous avions été dérangés encore une fois par des actes non nécessaires, voire contradictoires : comme la pose d’une perfusion d'ocytocine contre mon gré alors que je suis à dilatation complète, sous prétexte que je suis une grande multipare et qu'il faut prévenir une hémorragie de la délivrance... Puis tirer sur le cordon -toujours contre mon gré- pour extraire le placenta...Comme prévention de l'hémorragie du post partum, on a vu mieux ! Dérangés par des paroles : la gynécologue m'empêche de crier à l'expulsion, alors que ce cri m'est nécessaire, il me donne de la force, de l'énergie, me fait du bien et m'aide à aider mon bébé dans ce passage difficile. Non, il faut que je me taise ? La puéricultrice qui prive le papa de la découverte du sexe de son enfant par lui-même en annonçant la couleur sans s'interroger sur notre éventuel besoin d'intimité...Voilà, heureux oui, mais...

Le travail effectué en totalité à la maison n'a rien eu à voir avec ce que j'avais connu à l'hôpital. J'ai pu boire, boire et reboire (Dieu, que c'est bon de pouvoir se désaltérer durant un tel effort !), marcher, me balancer, m'accroupir, me mettre à quatre pattes, gémir, râler, jurer, aller dans le bain, en sortir pour y retourner quelques instants après..., sans avoir à demander, à me justifier, à argumenter, à négocier, à avoir honte ou être gênée. J'ai fait ce dont j'avais envie, j'ai ainsi pu écouter mon corps, me connecter avec mon bébé, être toute à lui, à moi, à la naissance, sans autre interférence que la sollicitude de l'homme que j'aime. J'ai trouvé le travail très doux aussi long fut-il, les contractions on ne peut plus gérables et je suis convaincue que cette douceur vient du fait que j'ai laissé la part belle à la physiologie, mon corps a fait comme il l'a entendu avec ce gros bébé à faire naître. Et comme nous étions « branchés », que l'instinct était très fort, nous avons senti au bon moment qu'il était temps de s'en remettre à d'autres pour la suite. Grand et gros bébé, Eliott avait mal fléchi sa tête, rendant l'expulsion un peu plus difficile que prévue. Mon homme quant à lui, s'est trouvé à sa juste place tant que l'on était à la maison. Il se sentait impliqué et acteur. Il était à l'écoute, totalement – d'ailleurs, c'est lui qui proposera de partir pour la maternité. Il avait senti aussi bien que moi que quelque chose « n'allait pas » et le verbalisera le premier. Une fois sur place, il retrouvera la place de l'empoté debout à la tête de la table d'accouchement, simple spectateur qui ne sait plus que dire ni faire, qui n'ose plus bouger de peur de gêner, qui se trouve bien inutile et seul. Et qui attend, en silence, l'instant magique plus qu'il ne le vit...

Nous avions décidé d'en rester là. Cinq enfants, c'est plutôt bien ! Et Jean, quant à lui, n'en voulait qu'un. Mais trois mois et demi après la naissance d'Eliott, depuis les étoiles... Un petit sixième a décidé qu'il voulait des parents ! Et c'est sur nous qu'il a jeté son dévolu... Soit ! Je suis de ceux qui pensent que les bébés viennent quand ils le veulent et pas quand les parents le décident. Et puisqu'ils trouvent un passage, c'est qu'il y a une place toute spéciale pour eux. Mon petit dans l'O s'est invité au cours d'une nuit ardente dans un corps rempli d'étoiles, palpitant en osmose avec un autre corps, tous deux lestés de plaisir, partant à la dérive dans des draps que l'extase du premier corps avait trempé... Fontaine... Des âmes ? Il n'y en avait plus qu'une... C'est ici même que Loan a choisi de venir, avec l'eau du plaisir charnel le plus pur, le plus intense que sa maman ait jamais connu.

Elle a ensuite connu l'eau des larmes de maman (qui n'a jamais autant pleuré que pendant ces neuf mois...)

Larmes de rire devant le test de grossesse positif.

Larmes de tristesse face à la réaction de son papa à l'annonce de la nouvelle.

Larmes de désespoir quand il a fallu à nouveau accompagner Nathan dans sa lutte contre la tumeur qui s'acharnait sur son oreille.

Larmes de désespoir et de peur quand le spectre de la Trisomie 21 a plané sur elle durant un mois.

Larmes de colère, de tristesse pour des "amis" qui n'ont pas compris ou pas voulu comprendre les conséquences d'une situation particulièrement difficile.

Larmes de peine, d'incompréhension, devant la bêtise résultant de l'ivresse d'un homme, laissant entrevoir le contenu d'un placard dont même Barbe Bleue ne voudrait pas.

Larmes de rire quand le gynéco gaffera à l'écho, nous révélant le secret de son genre.

Larmes d'épuisement quand d'autres eaux, (Et oui ! Encore de l'eau), incontrôlables elles aussi, ravageront le rez de chaussée de la maison.

Ce bébé inattendu est devenu un bébé surprise, un bébé voulu, un bébé désiré, un bébé porteur de tous les possibles. Mon petit dans l'O. Prévu pour le 27 novembre 2006.

Mes lectures sur l'accouchement sont encore toutes fraîches, je suis persuadée du bien fondé de la naissance à domicile. Dans mon esprit, c'est ce qu'il y a de mieux en matière d'accueil de la vie. Mais je suis moins campée sur mes positions que l'année dernière quand j'attendais Eliott et que je voulais à tout prix accoucher à la maison. Je ne pensais qu'à ça, j'y croyais dur comme fer. Cette fois, je n'affirme rien, je n'en parle quasiment pas, je n'attends rien de spécial, je laisse venir les choses comme elles se présentent. Je suis déjà dans le lâcher prise sans même m'en rendre compte...

Hormis quelques gros coups durs qui la terniront un peu, cette grossesse se déroulera sans problème particulier, et j'arriverai à son terme dans une forme éblouissante bien qu'elle soit la sixième et qu'Eliott, qui vient de fêter sa première année, me demande beaucoup de temps et d'énergie.

Le 14 novembre au réveil, le moindre de mes mouvements provoque un léger écoulement clair à l'odeur très caractéristique et si agréable de liquide amniotique. Je pense à une fissure haute de la poche des eaux, je me mets à l'écoute car le travail peut se mettre en route d'un moment à l'autre. Cela me contrarie d'accoucher maintenant, j'aurais tant aimé profiter des quinze jours qu'il nous restait à passer « l'un dans l'autre », à attendre nos rendez-vous quotidiens, vers minuit, pour entrer en contact, nous caresser, communiquer et rêver ensemble de la naissance idéale pour nous deux. Ai-je le choix ? Il est dit que le travail débute spontanément dans les 48 heures suivant la rupture des membranes, je suis donc persuadée de l'imminence de la naissance... Mais rien ne se passera ! Je ne m'inquiéterai pas outre mesure. Pourtant, on m'a toujours affirmé qu'après la rupture de la poche des eaux, le bébé devait naître dans les 72 heures suivantes maximum, sinon on l'exposait à des risques d'infection... En y regardant de plus près, je m'interroge sur le contexte de survenue de ces infections. N'arrivent-elles pas parce que la femme écoute bien docilement ce qu'on lui a ordonné de faire dans pareil cas : se rendre à la maternité tout de suite et se voir « visitée » par les doigts de maintes personnes ? N'est-ce pas dans ces conditions que les infections se produisent ? Je pense à cette femme que je connais un peu et qui, pour ses deux dernières grossesses a eu une rupture prématurée des membranes au sixième mois. Dans son cas, comme pour toutes celles à qui cela arrive, on ne parle pas d'accoucher au plus vite afin de limiter ce fameux « risque » d'infection, bien au contraire. Il s'agit là de prolonger le plus possible la grossesse afin d'échapper à la prématurité. On préconise le repos absolu, on surveille la couleur du liquide, la température de la maman et on attend en croisant les doigts. Qu'ai-je donc à craindre de cette fissure haute ? Pas la prématurité de mon enfant en tout cas ! Je décide donc de laisser faire tout en étant très attentive au moindre symptôme d'hypertermie et à la couleur du liquide qui continuera de s'écouler au gré de mes mouvements et de ceux de mon bébé, onze jours durant. Onze jours durant lesquels le petit dans l'O et moi allons profiter pleinement de ce bonus que l'on s'accorde au nez et à la barbe de tous !

Entre nous, c'est déjà très fort, nous sommes en osmose parfaite, notre relation semble basée sur le principe de l'accord tacite : j'ai toujours souhaité, tout au fond de moi, avoir six enfants, j'ai désiré profiter de ma grossesse jusqu'au bout, j'ai ardemment espéré accoucher à domicile... Autant de voeux exaucés en un clin d'oeil, pas besoin de se parler pour comprendre que l'on est mille fois d'accord, que nous sommes mus par le même élan : celui que donne l'Amour !

Le dixième jour, je vais rendre visite à Nathalie, mon ancienne sage-femme qui a cessé son activité. Nous sommes restées très proches. Elle a toujours eu le don de lever les vieilles angoisses qui nous tenaillent depuis la nuit des temps. Et pour moi, il est justement grand temps de mettre des mots sur ce qui me pose le plus problème dans l'accouchement : l'expulsion. Dans mon esprit, cette sortie relève de l'impossible : comment fait un bébé pour passer par là ? C'est si étroit, trop étroit, ça dépasse mon entendement. Ma tête est capable de me dire qu'il en est ainsi depuis que le monde est monde et puisque nous sommes tous là, c'est que le procédé a largement fait ses preuves. Mais mes tripes persistent à générer de l'angoisse à cette simple évocation : l'étroitesse du passage. Cette difficulté se répercutera d'ailleurs toujours plus ou moins au moment de l'expulsion à chacun de mes accouchements. Cette étape je la passerai en force, pleine de hargne, à chaque fois terrifiée et bloquée par la peur, incapable de m'en remettre à moi-même et presque satisfaite d'avoir une tierce personne qui me dictera quoi faire et comment le faire... Je dis bien « presque satisfaite » car, le recul pris, une fois la tempête passée, me fera ressentir la déception tenace de n'avoir pas su faire face, d'avoir « délégué » le déroulement pourtant crucial de cette étape à de parfaits inconnus, de m'être coupée de moi-même et de mon bébé... Et je suis restée avec ce problème non dépassé sur les bras, à ne pas savoir qu'en faire. En un mot, insatisfaite !

Je parviens, ce jour-là à verbaliser cette hantise à Nathalie qui compare simplement cette phase de l'accouchement au moment où l'on va dépasser un camion sur une route : une fois déporté sur la voie de gauche, on se dit que c'est trop étroit puis, dès lors qu'on se trouve engagé dans la manoeuvre, force est de constater que l'étroitesse n'est qu'une idée fausse puisque ça passe, juste, mais ça passe ! Ce jour-là, je rentre souriante et légère, je sais que Nathalie a trouvé la bonne métaphore, comme d'habitude !

Le lendemain se déroule comme ces journées bénies où tout glisse à merveille. Le hasard met Marcelle sur ma route, elle se propose de venir m'aider à faire un brin de ménage à la maison l'après-midi. Quand elle part vers 18 heures, mon nid est impeccable, je suis ravie. J'ai eu, pendant nos activités, quelques belles contractions. Normal en fin de grossesse, me dis-je. Vers 19 heures, elles semblent prendre une tournure régulière. Je me mets à l'écoute tout en préparant le dîner. Quand, vers 20 heures, nous passons à table, je m'aperçois que je n'ai absolument pas faim. À ce moment-là, je sais que le travail s'est vraiment mis en route : je n'ai pas d'appétit quand j'accouche, je le sais. Je passe donc le repas à papoter avec mon homme et les enfants. Quand une contraction arrive, je me lève et je vais dans le salon, marcher à grands pas tout en soufflant, puis je retourne m'asseoir et reprends la conversation là où je l'avais laissée. Tout va bien ! Maintenant que je suis sûre d'être entrée en travail, je leur annonce la nouvelle qui est accueillie par de larges sourires. J'en profite pour demander aux enfants ce qu'ils souhaitent pour le déroulement de l'événement : que je reste à la maison ou que je parte pour l'hôpital ? La réponse, unanime, me fera marquer un temps d'arrêt : ils préfèrent me voir partir pour l'hôpital car ils pensent que c'est plus sûr... J'accuse le coup, ça me contrarie un peu, je ne m'y attendais pas vraiment...

Je décide d'aller me détendre dans un bon bain et méditer sur cette nouvelle donnée. Il est environ 21 heures. J'ai toujours apprécié les bienfaits du bain pendant le travail : ça atténue la douleur, ça détend et le travail s'en trouve souvent réduit dans la durée. Je prends soin d'ajouter à l'eau quelques gouttes d'huile essentielle de sauge sclarée, tonifiant musculaire censé stimuler les contractions. Je mets une lumière tamisée. Je me fais un petit coin à moi, bien douillet, calme et apaisant. Avant d'entrer dans le bain, je décide de m'examiner. Mon col est encore bien postérieur puisque je dois faire preuve de souplesse pour l'atteindre, il n'est pas encore totalement effacé. Je sens un bourrelet d'un bon centimètre et je sens aussi qu'il est ouvert : de deux, environ. Je sais que chez les multipares comme moi, il est très fréquent que le col s'ouvre avant son effacement complet et que ça n'est pas un problème. Je ne sens pas la tête de bébé appuyer sur mon col.

J'ai appris à m'examiner pendant la longue naissance d'Eliott durant laquelle j'ai pu me familiariser avec l'évolution du col durant le travail. C'est une chose que je n'aurais jamais osé faire auparavant, en milieu hospitalier... Je n'y ai même jamais songé, assistée que j'étais par les sages-femmes. J'ai donc commencé à reprendre mes droits sur mon corps par le biais de cette naissance.

Pendant que je « contracte » dans le bain, Pénélope, Nathan, Joséphine et Eliott jouent au salon. Lucie est déjà partie se coucher. Jean monte me voir de temps en temps tout en s'excusant de ne pouvoir être plus présent à mes côtés. Très demandeur vis-à-vis de son papa, le petit Eliott, plein d'énergie, n'est pas prêt d'aller au lit. Je le rassure en lui disant que les contractions sont encore relativement douces, elles ne nécessitent pas encore le besoin impérieux de trouver une position antalgique, je gère sans problème, je n'ai pas encore besoin de lui près de moi.

Je continue à m'interroger sur le souhait des enfants, contraire au nôtre et sur la solution qui donnerait satisfaction aux uns comme aux autres. Je ne me sens pas très au clair avec cette contradiction entre leur attente et la nôtre, ça me chiffonne... Ils choisissent ce moment-là pour venir se mettre en pyjama dans le dressing qui est contigu à la salle de bain. Ils ont la délicatesse et/ou la pudeur de fermer la porte vitrée. Cela ne doit pas être facile de voir leur mère accoucher, même si je ne souffre pas énormément. Je les observe du coin de l'oeil entre deux contractions. Ils sont graves, anormalement silencieux, visiblement inquiets pour moi... Nathan a le visage tendu par l'angoisse et, pensant que je ne les observe pas, ils me jettent tous trois des regards où l'inquiétude pèse lourd... Le doute m'envahit pour de bon. Et la culpabilité aussi...Tout à coup, je trouve injuste de leur imposer cette épreuve, je me dis que ce cheminement est le mien, pas le leur, que c'est arbitraire de ma part de leur infliger ce spectacle avec tout ce que cela implique de tensions, d'angoisses, d'adaptations et autres projections. Je me trouve dure envers eux et je me sens mal.

Les contractions s'intensifient un peu. Je ressens un fort tiraillement dans le bas du ventre, c'est une sensation nouvelle pour moi, elle n'était pas présente lors de mes précédents accouchements. Ça n'est pas très douloureux, mais une petite voix au fond de moi me donne à penser que cette sensation est le signe de contractions très efficaces. Il me faut donc prendre une décision rapide quant au dilemme qui me tourmente. Maintenant, à chaque contraction, je dois me mettre à quatre pattes dans la baignoire et je tire très fort sur le bord de celle-ci tout en soufflant. Ce mouvement de traction me fait énormément de bien. Je « sens » que ça bouge très vite, le rythme s'accélère lui aussi, toutes les quatre minutes je pense. Jean vient me voir. Je lui fais part de mon sentiment vis-à-vis de l'angoisse des enfants. Je lui demande ce qu'il souhaite. Sa réponse ne m'aide pas : il pense, comme moi, que ce serait l'idéal d'accoucher à la maison, mais si les enfants se sentent mal, il serait plus judicieux de partir...

Je crains que leur angoisse qui ira toujours croissant ne me « contamine » et donne une mauvaise tournure à la suite des événements. Nous décidons donc de partir pour l'hôpital. Jean va endormir Eliott, ensuite, il ira chercher ma mère qui restera ici pour garder les enfants, puis nous nous mettrons en route. En attendant, je me blinde pour être le plus hermétique possible à ces angoisses qui ne sont pas les miennes, plus que jamais je rentre dans ma bulle de calme, de paix, de sérénité avec mon petit dans l'O.

Il est environ 21 heures 50. Le travail continue, toujours efficace. Je me surprends à penser que nous n'irons nulle part ce soir... Puis une contraction arrive et avec elle l'envie de pousser. La suivante aussi ! Je décide de m'examiner à nouveau. Je m'installe dans le sens de la largeur de la baignoire, accroupie, les jambes très écartées. Cette fois-ci, pas besoin de me contorsionner pour sentir la tête de mon bébé juste au bout de mes doigts... Je sens aussi un petit bout de col qui disparaît totalement sous l'effet d'une nouvelle contraction. À cet instant, je SAIS que nous n'irons nulle part ce soir !

J'appelle Pénélope. Je ne reconnais pas ma voix, affreusement aiguë. Je me racle la gorge, j'ai peur que ce timbre qui ne me ressemble pas ne l'effraie, mais rien à faire : ma voix s'obstine à rester haut perchée, ça me contrarie... Pénélope arrive près de moi. Il ne faut pas qu'elle sache que la naissance est maintenant imminente, je refuse qu'elle s'inquiète davantage. Je gère la douleur mieux que jamais, elle a quasiment disparu d'ailleurs ! J'ai un aplomb d'enfer, et Pénélope le voit très bien : je me sens comme un roc que rien ne peut faire vaciller. Cette énergie fabuleuse qui m'anime est contagieuse, l'espace se dilate, la pièce semble s'agrandir, le temps s'arrête et je vois aussi ma fille prendre de l'ampleur et se montrer attentive comme jamais elle ne l'a été..., ma très lunaire Pénélope. Je lui demande d'aller chercher Jean qui vient à peine de monter avec Eliott, il ne dort certainement pas. Elle va donc rester auprès de son petit frère et l'occuper du mieux qu'elle peut, je sais qu'elle en est capable, je lui fais une confiance absolue et je le lui dis. Elle me quitte, un doux sourire aux lèvres. Elle est maintenant curieusement sereine et ça me fait du bien de la voir apaisée. Très vite, une nouvelle contraction arrive, toujours associée à l'envie de pousser que j'accompagne désormais sans même y réfléchir. Mon corps me dicte de rester dans la position où je suis (accroupie, les jambes très écartées), je sens mon petit s'engager vers sa dernière ligne droite. Je ne panique pas, je me laisse au contraire totalement aller. Je plaque mon dos contre la paroi de la baignoire, je pose mes mains sur la paroi opposée et je pousse comme si je voulais écarter les bords de la baignoire l'un de l'autre. Ce mouvement de poussée en opposition me donne une force incroyable.

Jean arrive très vite, bien loin de s'imaginer que son enfant est sur le point de naître. Il pense que je vais lui demander de l'eau ou un fruit... Il s'accroupit en face de moi et, tout en me caressant très tendrement les épaules, plein de sollicitude, me demande ce qu'il peut faire pour moi. Je lui réponds dans un souffle rauque : « Rien, il arrive ! » Son regard plongeant sur mon entrejambe sera accompagné de l'exclamation : « Mais, mais c'est sa tête ?! »

De l'intérieur, ce moment du passage aura été tout à fait spécial pour moi. Ce moment tant redouté et craint. Ce moment où je me suis cinq fois bloquée, convaincue que c'était impossible et où j'ai ressenti la brûlure du passage et la sensation d'écartèlement avec une violence inouïe... Ce moment que j'ai détesté et passé en force à cinq reprises... Ce moment où je m'en suis remise aux ordres d'autres pour accomplir le passage qui pourtant n'incombait qu'à moi-même... Mise face à ma propre réalité, j'ai continué à accompagner mon corps, sans vraiment y réfléchir. Les choses s'imposaient à moi avec une évidence inébranlable. J'ai poussé sans efforts, doucement, à mon rythme, sans jamais bloquer ma respiration mais bien au contraire en soufflant, parfois très fort, certes, mais je suis toujours restée dans l'ouverture. J'ai fait les choses telles que je les sentais et j'ai follement apprécié de n'avoir à obéir qu'au principal concerné : mon propre corps !

Pendant que Jean arrivait près de moi, j'ai senti la tête s'engager en moi, j'ai senti un début de brûlure et tout mon être s'est mis à hurler en silence « NOOOON, pas ça! ». J'étais enfin arrivée là où je ne voulais me trouver pour rien au monde. C'est ce moment qu'a choisi mon cerveau pour se déconnecter et laisser place à l'instinct le plus pur. Ma dernière pensée volontaire fut pour Nathalie, je me suis dit : « Je vais le doubler ce putain de camion, ON va le doubler ce putain de camion ! » Et la sensation de brûlure et d'écartèlement s'est volatilisée, littéralement ! La tête est passée en quelques secondes, les épaules en autant de temps, puis le petit corps a glissé dans l'eau... Magie de la vie, magie de l'amour, magie de l'arrivée sur terre d'un nouvel être à part entière, magie de la venue d'un enfant, le nôtre, magie de l'apparition d'une personne unique : Loan...

Colossal, titanesque et si simple à la fois, tellement simple. C'est extraordinaire, grandiose, fabuleux, délicieux ! Il n'y a pas de mots assez forts pour décrire ce qui se passe là. J'ai eu le privilège de connaître cette illumination, l'espace d'un instant, de vivre vraiment l'instant présent et c'est indicible !

J'ai saisie Loan rapidement, avec le maximum de douceur, de lenteur et je l'ai prise contre moi, son petit visage à l'air libre. Elle a poussé son premier cri tout de suite et elle s'est aussitôt endormie, paisible, dès qu'elle a perçu à nouveau le bruit rassurant de mes battements cardiaques. Et j'ai laissé exploser ma joie comme jamais auparavant, faute d'intimité...

J'étais entre le rire et les larmes, totalement perdue dans le flot de mes émotions. Une extase sans pareil ! J'ai eu la sensation de faire partie intégrante d'un tout duquel nous étions tous trois indissociables. Loan, son papa et moi ne faisions qu'un, nous étions complets et entiers, à notre juste place, dans une douce bulle d'Amour et d'émotions purs.

J'ai vu Jean essuyer les larmes qui perlaient à ses paupières. Voilà ! La boucle était bouclée : conçue dans l'eau, baignée neuf mois durant dans une multitude d'eaux (plus ou moins troubles...), née dans l'eau sous l'oeil humide de son papa...

Nous avons mis quelques instants pour reprendre nos esprits ! Loan s'est réveillée quelques minutes plus tard pour se mettre à chercher mon sein et téter comme une grande ! J'ai demandé à Jean d'aller chercher les enfants qui se sont tous retrouvés autour de la baignoire à admirer religieusement leur petite soeur toute fraîche en train de téter doucement ! La lumière tamisée et l'ambiance feutrée les incitaient à chuchoter, ils ont posé quelques questions sur le cordon qu'ils ont tenu encore battant dans leurs mains, puis..., sont repartis jouer de la lumière plein les yeux.

Loan et moi sommes restées une bonne demi-heure dans la baignoire à nous regarder, nous caresser, nous rencontrer, nous renifler ! Elle a tété tout ce temps-là, relançant ainsi les contractions. Lucie a appelé mes parents - qui se sont mis en route dans la foulée - et m'a secondée pendant que Jean annonçait la nouvelle à sa famille. Elle est allée faire bouillir une paire de ciseaux et m'a apporté une cuvette pour le placenta que j'ai senti descendre en moi quand je me suis levée pour sortir de l'eau. Complet, beau comme tout, il sera mis en terre dans une jardinière et servira d'engrais à trois arbustes qui reviendront à Loan quand elle aura l'âge de voler de ses propres ailes.

Nous avons enveloppé Loan dans deux draps de bain, je me suis lavée, séchée, j'ai enfilé un peignoir et je suis allée sur le canapé du bureau avec ma merveille ! Mes parents sont arrivés, nous avons bu le champagne, Jean m'a préparé une omelette tomates-oignons accompagnée d'un jus d'orange frais pressé et de chocolats : le meilleur repas du monde !

Puis il a coupé le cordon en présence des enfants et de mes parents très émus ! Tout le monde est parti se coucher vers minuit, sauf moi ! Encore saturée de cette fabuleuse énergie déployée quelques heures plus tôt, j'ai admiré ma merveilleuse Loan jusqu'à cinq heures du matin avant de m'endormir paisiblement, son petit corps tout chaud lové contre le mien.

Loan est un prénom d'origine vietnamienne, il signifie « Phénix ». C'est en toute liberté et avec légèreté que les ailes de Loan se sont déployées ce 25 novembre vers 22 heures 15 ! Cette naissance fut grandiose et tellement facile. Je pense aujourd'hui, un mois à peine après la naissance, que cette facilité est due au fait d'un respect total du rythme de l'accouchement. Pas même mon homme n'a interféré puisque je suis restée seule durant la quasi totalité du temps qu'aura duré le travail. Je l'ai appelé au moment de la naissance seulement parce que je ne voulais pas qu'il rate ce moment, non parce que j'avais besoin de lui. La seule « perturbation » aura été l'angoisse palpable des aînés face à cette expérience toute particulière de voir leur propre mère dans le processus singulier qu'est le don de vie et d'être là lorsque l'enfant paraît. Pénélope me dira un peu plus tard que ce n'est pas de me voir souffrir qui l'a stressée, mais la perspective d'accueillir un « inconnu » à la maison, sans vivre la transition, ne serait-ce que par un aller-retour via la maternité pour se préparer à cette rencontre, cette nouvelle histoire d'amour entre deux soeurs.

Pour cette naissance, comme pour celle d 'Eliott, le travail fut très doux, la douleur des contractions très gérable, même en fin de parcours ; la phase de l'expulsion (ma première non dirigée) douce et facile aussi. J'ai pris la position qui convenait le mieux à mon corps, j'ai poussé à mon rythme, sans bloquer ma respiration, comme je le sentais, en douceur et non tout en force comme c'est le cas quand on est « contrainte » à la poussée dirigée...

Loan, quant à elle, a tété tout de suite et sans problème, contrairement à ses aînés qui ont tété environ une demi-heure suivant leur naissance, après avoir été gentiment, mais sûrement, stimulés pour le faire. Cela a-t-il un rapport ? Ils avaient tous été stressés par le bataillon d'examens que subissent la plupart des nouveaux-nés, au lieu de profiter de la chaleur de mon corps, de la tendresse et du réconfort de mes bras, de mon amour...

Quant au post-partum à la maison avec un homme vraiment attentionné qui m’épaule et me seconde comme un chef, la visite quotidienne d'une sage-femme pendant les quatre jours suivants la naissance, c'est un délice !

Je me repose vraiment, dans mon lit, dans le calme de ma maison, avec mes proches qui viennent, au goutte à goutte. Et surtout parce que les aînés ne se trouvent pas séparés, ne se sentent pas « écartés » de moi et du nouveau venu…, qui, du coup, est intégré de suite à la fratrie, à la famille.

Pour en arriver là, il nous aura suffit, à mon homme et moi-même de faire ce choix d'accouchement de façon éclairée et d'en assumer les conséquences quelles qu'elles soient. Il nous aura suffit de nous comporter en adultes censés et posés, capables de faire face, de prendre nos responsabilités. De nous prendre en main, tout simplement !

J'ai donné la vie dans la joie et le plaisir, en conscience et avec amour. Ce jour-là, la vie a repris son droit de naître sereinement et librement. Je n'ai pas le sentiment d'avoir accompli quelque chose d'exceptionnel, bien au contraire. J'ai fait ce que font les femmes depuis que le monde est monde… Malheureusement, trop de femmes ne savent plus qu'elles SAVENT faire ce pour quoi elles sont faites. Moi la première, pendant des années, je me suis laissée bercée d'idées préconçues et fausses sur la naissance et les « dangers » qu'elle comporte, j'ai cru ce que mon ignorance, mon manque d'assurance ont bien voulu me laisser croire. Il m'aura suffit de prendre conscience - dans le sens le plus vaste du terme - d'avoir confiance, une confiance absolue en mes capacités de femme à donner la vie, à être la vie.

Depuis, je ne cesse de me dire que l'humanité aurait tout à gagner à redonner un visage humain à la naissance de ses représentants... Je ne cesse de me dire que nous nous sommes égarés sur des sentiers bien tortueux et sombres, que nous nous sommes éloignés de l'essentiel... Depuis, je ne cesse de dire : « Le jour où les femmes prendront réellement conscience de la force qu'elles ont dans le ventre... » Depuis, je ne cesse de remercier Loan d'avoir bien voulu, par son arrivée inattendue et sa merveilleuse naissance, mettre en lumière la mère que je suis devenue en lui donnant la vie.

Cette expérience unique et fantastique, je la souhaite à toutes mes soeurs, femmes du monde pleine de force et de délicatesse...

Nous nous étions préparés à l'éventualité d'un départ pour l'hôpital en consultant au neuvième mois une gynécologue, à laquelle nous avions soumis un projet de naissance qu 'elle a accepté sans réserve. Après la naissance de Loan, n'ayant aucune envie d'entrer dans des débats stériles sur ma volonté d'accoucher sans assistance, je me suis contentée de relater la rapidité du travail, faisant croire à la nature inopinée de cette naissance.

Le lendemain de la naissance, ma sage-femme se rend dans cet établissement - elle a accès au plateau technique - pour y chercher un carnet de santé et le nécessaire pour d'éventuels soins. Elle y rencontre le gynécologue, chef du service, qui n'est autre que celui qui m'a si mal traitée lors de mon premier accouchement.

Malgré la version édulcorée des faits, il se met en colère et passe un savon à ma sage-femme. Il ne comprend pas que nous n'ayons pas appelé le SAMU pour un transfert vers l'hôpital comme le font toutes les femmes accouchant trop vite ! Il affirme que sa responsabilité est engagée du fait que j'ai téléphoné pour faire avertir ma sage-femme de la naissance de Loan. Il prétend qu'il ne peut accepter de nous « laisser dans la nature » sans que le bébé ait vu un pédiatre, demande mon profil psychologique et veut connaître mon milieu social… Il veut envoyer le SAMU à mon domicile sans me prévenir au préalable et exige notre transfert vers son service sur le champ. Outrée, ma sage-femme s'y oppose avec véhémence, arguant qu'il ne peut décemment agir de la sorte avec une femme qui vient juste d'accoucher. Il exige alors que je vienne par mes propres moyens avec Loan, visiter le pédiatre de garde. En cas de refus, il téléphonera au Procureur de la République qui enverra le SAMU, alors habilité à me retirer mon bébé (allaité) pour qu'il soit vu par un médecin…, reste à ma charge de venir le récupérer à l'hôpital.

Lorsque ma sage-femme m'annonce tout cela, je suis atterrée. Je ne comprends pas un tel déchaînement de colère, d'intolérance, d'inhumanité face à une si belle naissance. Les compétences de ma sage-femme sont niées, sa parole réduite à néant puisque les constats et examens qu'elle pratique sur Loan et moi-même ne suffisent pas à justifier notre maintien à domicile. Elle a pourtant fait les mêmes gestes que toutes les sages-femmes font à chaque naissance. L'examen de Loan a été pratiqué dans le plus grand respect du protocole en vigueur. Mais non...

Pourtant, si la naissance avait eu lieu à l'hôpital, j'aurais bénéficié des soins d'une simple sage-femme et Loan n'aurait eu la visite d'un pédiatre, au mieux, que le surlendemain puisqu'elle est née un samedi soir. Pourquoi, dans ce cas, déployer tout cet arsenal - qui ira jusqu'au déplacement de deux gendarmes jusqu'à notre domicile ! - et faire ces menaces, pour nous voir plier à la seule volonté de cet homme, abusant de son pouvoir.

Ecoeurés, nous décidons, pour éviter le pire, de nous rendre à l'hôpital dimanche en soirée. L'examen de Loan est normal. Nous rentrons à la maison.

Nous avons beaucoup discuté de l'attitude de ce gynécologue avec notre sage-femme au cours de ses visites de suivi du post partum. Connaissant bien le personnage, elle confirmera ce que je pensais : il a agit de la sorte par excès d'orgueil. Elle nous rapportera la joie et le soutien unanime de toute l'équipe soignante face à notre histoire. Elle saluera notre décision d'écrire à ce monsieur une lettre de « remerciements » pour, je cite : sa compétence, son impartialité, son ouverture d'esprit, son humanisme, son respect d'autrui et des libertés individuelles, son respect du droit à l'intimité, à la tranquillité, sa confiance en nos capacités d'évaluation de l'état général de notre enfant, sa mesure, sa justesse, sa tolérance et son humilité. Cette lettre est restée sans réponse à ce jour...

La naissance de Loan est un joyeux pied de nez, une belle revanche, un juste retour des choses, un sacré aboutissement !

Je n'aurai pas d'autres enfants. Je m'arrête sur cette note sublime de plénitude, d'achèvement. L'épilogue ? Un mal nécessaire à la boucle magnifiquement bouclée !

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